Méthode commentaire : « Blanche ou l’oubli » de Louis Aragon
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Méthode commentaire : « Blanche ou l’oubli » de Louis Aragon
Méthode commentaire : « Blanche ou l’oubli » de Louis Aragon
Essayez d’élaborer votre analyse en plusieurs étapes. Premièrement, lisez votre texte, tout simplement. Effectuez ensuite une relecture plus approfondie de façon personnelle et réfléchie. Autrement dit, relisez votre texte en essayant de cerner la problématique de votre sujet et en élaborant un plan que vous affinerez par la suite. Si vous avez du mal à organiser tout cela dans votre esprit, n’hésitez pas à vous servir d’une feuille de brouillon pour y écrire toutes les idées qui vous viennent. Essayez aussi de trouver quel est le fil conducteur du texte, autour de quel sujet s’articule-t-il ?
Ensuite, couchez sur papier l’ébauche de plan que vous avez à l’esprit et essayez de l’améliorer en relisant encore votre texte et en essayant d’effectuer un « découpage » visuel du sujet qui vous a été donné. Pensez bien à noter chaque idée dans chacune des parties que vous allez élaborer. Gardez aussi à l’esprit qu’il est indispensable que vos parties soient bien équilibrées. Prenez donc bien tout cela en compte lors de l’élaboration de votre plan.
Enfin, vous pouvez vous lancer ! Cependant, pensez bien à suivre la trame que vous aviez déjà en tête, évitez-donc de modifier votre plan à la dernière minute. Par ailleurs, énoncez clairement votre problématique et essayez de rester cohérent tout le long de votre commentaire de texte. Votre développement doit suivre mot pour mot la trame que vous avez évoqué dans votre introduction. N’oubliez pas d’inclure des citations et de justifier votre argumentation en mettant en valeur les mots-clés et les indicateurs grammaticaux et sémantiques qui vous semblent importants.
Plan
Introduction
Poète et romancier majeur du 20ème siècle, Louis Aragon a marqué la littérature française par son engagement politique ainsi que son affiliation au mouvement surréaliste. En 1967 il publie « Blanche ou l’oubli » roman atypique traversé par la question de l’identité, du souvenir mais aussi de la création littéraire dans lequel il brouille les pistes narratives.
Le passage étudié se situe au chapitre 3 de l’oeuvre. Dans cette scène, Geoffroy, le narrateur, retrouve sa femme Blanche, disparue dix-huit années auparavant pour un adieu définitif. Nous nous pencherons dans un premier temps sur le caractère particulièrement intimiste de cette scène d’adieu ou la matérialité des personnages s’efface pour mieux privilégier l’expression de la mémoire et des sentiments. Nous étudierons dans un second temps l’entreprise de réécriture d’Aragon qui s’inspire dans ce passage de « L’éducation sentimentale » de Flaubert pour mieux servir sa propre démarche littéraire.
1. Une scène intimiste
Aragon reprend ici un thème phare de la tradition romanesque, celui de la rupture et de l’adieu à la femme aimée, en l’abordant sous un angle résolument intimiste.
1.1. Des personnages effacés
Dans cette scène de rupture, les personnages semblent physiquement effacés. Blanche n’est en effet que partiellement décrite à travers l’évocation de sa chevelure, ses yeux ou encore son bras d’enfant. Son amant est quant à lui totalement absent, se manifestant par un simple bruit extérieur : « Le klaxon a encore appelé, au dehors, parce que c’est un klaxon ». Du narrateur, nous ne connaissons que les mouvements intérieurs causés par ces retrouvailles. En effet dans ce passage, les mots révèlent les états émotionnels de Geoffroy bien plus qu’ils ne s’attachent à faire le récit détaillé de la scène. Chaque description physique est l’occasion d’une introspection sentimentale qui nous fait plonger dans l’intimité du narrateur : « Elle a arraché ce voile blond, elle passe les doigts dans les cheveux qui se défont. J’ai vu. Mon Dieu, mon Dieu. Est-ce possible ? C’est terrible, comme ça tout d’un coup. ». Le lecteur est comme happé en Geoffroy, ne pouvant envisager la scène autrement que sous le prisme de sa subjectivité.
1.2. La mémoire
Le bouleversement intérieur de Geoffroy est une porte ouverte pour le lecteur vers la réminiscence de son passé avec Blanche. En effet la mémoire du narrateur tourbillonne au fil des mouvements de Blanche, nous faisant accéder aux souvenirs de leur intimité passé. La femme qui se trouve désormais devant Geoffroy tient plus du spectre de l’ancienne aimée que d’une réalité concrète. Chaque détail de sa physionomie est un écho, un rappel lointain. Le visage de Blanche par exemple, n’est décrit que par comparaison avec ce qu’il fût 18 ans auparavant : « Elle n’est plus jeune, c’est-à-dire si on compare avec la mémoire… mais si on la compare avec l’oubli. Un visage lisse encore. Voilà la différence : autrefois je n’aurais jamais pensé encore. ». Le passé se superpose au présent pour mieux l’engloutir. Il en va de même concernant le bras de Blanche qui ressemble « toujours » à celui d’un enfant, et de ses yeux qui restent encore « les mêmes ». Cette incursion pudique dans la mémoire du narrateur est touchante de fragilité et nous permet d’accéder à la dévotion amoureuse de cet homme délaissé qui ne parvient pas à retenir celle qui fût sa compagne.
1.3. Une langue simple
Le caractère intimiste de ce passage est accentué par l’emploi d’un vocabulaire familier ainsi que par le recours à des constructions grammaticales assez simples. Dans la phrase : « je cesse à nouveau d’entendre Blanche, est-ce que je n’ai pas rêvé tout ça ? » nous retrouvons une construction grammaticale qui relève d’avantage du langage oral que des codes littéraires. L’emploi du « ça » vient confirmer cette hypothèse et souligne la volonté de l’auteur qui souhaite restituer l’émotion de Geoffroy dans toute son authenticité langagière. Durant tout l’extrait, des phrases courtes s’enchaînent de manière faussement décousues pour mieux épouser le fil des pensées du narrateur en état de choc : « De quoi parle-t-elle ? De qui ? Le klaxon a encore appelé, au dehors, parce que c’est un klaxon. Je pourrais demander, qui est-ce ? Je pourrais dire, ne t’en va pas sans m’avoir… »
2. Une réécriture
Ce passage traversé par la mémoire l’est doublement lorsqu’on considère l’allusion explicite faite à « L’éducation sentimentale » de Flaubert dont Aragon nous propose ici une réécriture.
2.1. L’inspiration de l’éducation sentimentale
Bien que le narrateur trouve « incroyable, parfaitement insensé, dans un moment pareil, de ne pouvoir faire autrement que de penser à Frédéric Moreau, à Mme Arnoux », la référence littéraire demeure trop évidente pour qu’un lecteur averti puisse s’en étonner. En effet dans cet extrait Aragon a recours à plusieurs reprises à des bribes de phrases tirées de « L’éducation sentimentale » de Flaubert sans pour autant citer textuellement sa source. Ce jeu d’intertextualité est également décelable à travers la nature même de cette scène d’adieu qui fait écho à la dernière entrevue de Frédéric et Mme Arnoux dans l’oeuvre Flaubertienne. Tout comme Mme Arnoux, Blanche retrouve après de nombreuses années son ancien soupirant et lui offre en guise d’adieu une mèche de ses cheveux.
2.2. Le détachement du modèle Flaubertien
Si la structure de cet extrait suit celle du passage correspondant dans « L’éducation sentimentale », Aragon prend néanmoins ses distances avec l’oeuvre originelle pour mieux affirmer la singularité de ses personnages. A l’inverse de Frédéric qui tente de faire abstraction de la vieillesse de Mme Arnoux pour continuer à poursuivre cet idéal inaccessible qui a jalonné son existence, Geoffroy ne peut que constater impuissant que son aimée n’a jamais été aussi belle : « Mais jamais elle n’a été plus belle, cela lui donne une autre douceur du visage que la dureté des cheveux noirs et lourds ». Mais encore, alors que Frédéric regarde de sa fenêtre Mme Arnoux s’éloigner, Geoffroy ne reconduit pas Blanche à la porte et préfère se cacher les yeux dans les mains « pour ne plus voir que l’oubli. Les cendres chaudes de l’oubli. ». Si la scène d’Aragon semble être dépouillée de l’aura romantique qui entourait celle de Flaubert, c’est pour mieux en faire ressortir le tragique. Geoffroy ne se sent pas capable de retenir Blanche et se laisse choir dans la fatalité de cette rupture. Les cendres chaudes de l’oubli ne le rappellent que trop bien à la douleur de sa perte.
2.3. Une réflexion sur l’écriture
A travers ce jeu d‘intertextualité, Aragon nous propose une réflexion sur l’écriture. Tandis que Blanche répond au cliché romanesque en suivant la même attitude que celle de Mme Arnoux, Geoffroy se détache du modèle Flaubertien dont il n’a que trop conscience et se compose sa propre attitude. Les deux personnages offrent donc autant de possibilités d’envisager la question de la réécriture : doit-on canoniser une oeuvre inspiratrice en l’imitant ou s’en détacher pour lui donner une nouvelle portée ? Aragon semble avoir pris son parti et ouvre l’accès de tous les possibles en rendant sa pleine autonomie à Geoffroy. Les cendres chaudes de l’oubli dans lesquelles essaye de se réfugier Geoffroy sont celles de l’écrivain pour qui le souvenir est matière à création.
Conclusion
Ce passage traitant en apparence d’un sujet relativement banal permet à Aragon d’insuffler une nouvelle force au traditionnel thème de la rupture grâce à une narration singulière. L’exploitation d’une atmosphère intimiste saisit le lecteur pour mieux le plonger dans la douloureuse réalité de Geoffroy tout en permettant à l’auteur d’aborder la question de la réécriture. La tension inhérente à l’écriture qui oscille entre le désir d’imitation et celui du geste créateur se résout dans l’évocation de cendres chaudes de l’oubli. En effet, c’est en prenant appui sur un modèle littéraire canonique qu’Aragon trouve l’élan pour affirmer la singularité de son oeuvre.</div>
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