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Abdellatif LAABI : Le Fond de la jarre

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Abdellatif LAABI : Le Fond de la jarre Empty Abdellatif LAABI : Le Fond de la jarre

Message par  Lun 5 Nov - 4:56

Editions Gallimard, 2002 - Maroc



Poète avant tout et surtout, souvent présenté comme l’archétype de l’écrivain militant en regard de ses engagements demeurés entiers et du lourd tribut que lui valurent ses prises de position, le Marocain Abdellatif Laâbi n’a jamais négligé les autres genres littéraires et il sait aussi à l’occasion emprunter les chemins du théâtre et du roman. Avec Le Fond de la jarre, il nous invite sur les traces de son enfance au cœur de la ville de Fès. Comme un vieux tiroir et ses secrets oubliés, comme une soirée entre amis au cours de laquelle s’entremêlent anecdotes et souvenirs, comme une vieille malle entrouverte sur ses trésors enfouis, Abdellatif Laâbi est allé puiser dans Le fond de la jarre afin d’en extirper quelques traces de son passé.

Passeur des autres écrivains par ses traductions et souvent à l’écoute des douleurs des autres, Abdellatif Laâbi est allé chercher au plus près de lui-même les bribes de mémoire qui allaient constituer la trame de ce livre. Le poète convie à cette cérémonie des confidences, tout en balisant le chemin et en évitant soigneusement les chausse-trappes, les images et imageries, les clichés et lieux communs qui encombrent volontiers ce type de livres qui fleurent parfois la commémoration, l’ennui et le stéréotype. La tentation est grande, en effet, de grossir le trait, de cultiver la facilité, de mâtiner le récit des séductions de l’exotisme, d’offrir au lecteur (tout particulièrement au lecteur occidental) les couleurs et les parfums qu’il attend et aime à retrouver. Ici, Abdellatif Laâbi prend le contre-pied et s’adresse à son lecteur et le met en garde en même temps qu’il le rassure : “on l’aura compris, car à l’averti suffit un clin d’œil quand au lourdaud il faut un coup de poing, c’est la prime enfance qui sera revisitée et, là encore, l’impasse sera faite sur les thèmes éventés”. Et Laâbi de citer parmi les sujets maintes fois ressassés et qu’il a soigneusement évités : l’école coranique qu’il a “d’ailleurs peu fréquentée”, la circoncision qui ne l’a pas “traumatisé outre mesure”, la fête du mouton “où l’hémoglobine gicle et coule à flots, le hammam “où le petit mâle s’initie aux mystères féminins”, ou la tyrannie paternelle alors que son père était “un doux agneau”...







Abdellatif Laâbi articule son récit autour de Namouss, un enfant, personnage central, double avec lequel il établit une relation, tout à la fois complice et distante. Namouss est tout à la fois son “ancêtre”, celui qu’il fut jadis et son “enfant”, celui qu’il est en train de recréer sous sa plume. Et c’est dans la connivence et les interstices de cette double filiation que l’auteur, narrateur, héros et protagoniste du livre nous convie à la table familiale, au cœur de ses secrets, de ses drames et de ses rires. “Famille, je vous aime” aurait peut-être pu dire Namouss mais il aurait fallu aussitôt ajouter une autre déclaration d’amour destinée à cette ville de Fès, tant chantée par le poète, qui donne aussi un charme mélancolique à ce livre d’évocation de lieux et de temps qui ne sont plus. C’est dans cette atmosphère que l’enfant feuillette l’agenda des souvenirs, mais s’il évoque la maison familiale, l’école, les parents, les copains, les voisins, les frasques d’enfance et les premières découvertes, Laâbi a le souci d’éviter la folklorisation de son récit et la volonté explicite d’écrire l’envers d’une carte postale stéréotypée, par ailleurs trop souvent adressée aux lecteurs. Quant au “fond de la jarre” qui donne son titre à ce livre, Abdellatif Laâbi nous livre l’origine de l’expres​sion(une supercherie de commerçants que le lecteur découvrira à la fin du volume), tout en précisant qu’avec le temps le sens en a été contrarié...







Il en ressort un livre d’intimité mais avant tout le livre d’un poète qui mesure la confidence, se joue des mots, de la transgression, du vrai et du faux, non pour travestir le réel mais pour donner sa vérité et sa vision, loin des chemins balisés et souvent encombrés de trop de poncifs et clichés. Un livre inscrit dans l’histoire du monde (le narrateur est à Fès lorsque est annoncée la chute du mur de Berlin et le récit est enchâssé dans ce contexte). Un livre exigeant qui réclame une attention de toutes les lignes. Un livre qui est aussi un portrait de l’auteur et qui permet aussi de mieux cerner une personnalité attachante et dont la sensibilité est à la mesure de son intransigeance.



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