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La sémiotique narrative de A.J. Greimas 2013

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Message par  Jeu 3 Jan - 16:25

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Online Magazine of the Visual Narrative - ISSN 1780-678X





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Issue 5. The Uncanny - Guest editor: Anneleen Masschelein

La sémiotique narrative de A.J. Greimas

(traduction du néerlandais par Jan Baetens)



Author: Dirk de Geest

Published: January 2003



Abstract (E): The present article presents an overview of Greimas' narrative semiotics, more particularly of the Greimasian theory of actantial logic on the one hand and the basic narrative sequence on the other hand. The author focusses on the contextualisation of Greimasian semiotics, which is distinct from an exclusively linguistically oriented semantics.

Abstract (F): Le présent article donne un aperçu de la sémiotique narrative de Greimas, plus particulièrement de la théorie greimaassience de la logique actantielle d'une part et de la séquence narrative de base d'autre part. L'approche de l'auteur privélégie la contextualisation de la sémiotique greimassienne, qui se voit distinguée de la sémantique d'orientation exclusivement linguistique.

Keywords: Greimas, actant, sequence, modalities







De la sémantique à la sémiotique

Pour bien comprendre la sémiotique narrative de Greimas, il importe de rappeler que cette théorie plonge ses racines dans la théorie sémantique de l'auteur, dont les fondements se donnent à lire dans Sémantique structurale (Greimas 1966). Ce livre fondamental cherche à poser les bases scientifiques de la sémantique des mots en particulier et des processus de signification dans la société et dans la culture en général. Bien que les ambitions de Sémantique structurale soient essentiellement d'ordre linguistique, la recherche menée dans ce livre se distingue doublement de la linguistique telle qu'elle était pratiquée à l'époque par les partisans de la grammaire transformative-générationnelle de Chomsky. D'abord, parce que Greimas opte pour une théorie grammaticale dont la portée excède de loin celle de la seule phrase. De là son intérêt très prononcé pour la manière dont se crée la cohérence plus large entre phrases et même à l'intérieur d'un texte complet. Ensuite parce que, à la différence de la plupart des autres modèles de la grammaire du texte, qui privilégient fortement le critère syntactique, le point de départ de Greimas est explicitement sémantique. Greimas refuse d'expliquer la cohérence textuelle à partir de phénomènes syntactiques de surface (comme par exemple les termes de coréférence ou encore les pronoms). Il postule par contre que la cohérence textuelle se fonde, d'une part, sur la répétition continue de certaines composantes sémantiques et, d'autre part, sur la manière dont un texte est pour ainsi dire généré par un nombre limité d'axes sémantiques (que Greimas conçoit toujours en termes d'oppositions fondamentales). A cet égard, c'est surtout la notion d'isotopie qui s'impose à l'attention. Les isotopies, qui indiquent la répétition de certains éléments sémantiques ou grammaticaux, sont une condition nécessaire non seulement à la cohérence d'un texte mais aussi et surtout à l'établissement du sens même à l'intérieur d'un texte ou d'un fragment textuel. De la même façon, la notion d'isotopie est très utile pour rendre compte de certains phénomènes stylistiques comme la métaphore, le calembour ou l'ambivalence, que Greimas analyse en termes d'interaction isotopique et de poly-isotopies.



Dans son article "Sémantique", publié dans le premier volume de Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas & Courtès 1979), Greimas a précisé lui-même ce qu'il entend par signification et théorie du sens. La sémantique, pour lui, doit répondre à "trois conditions importantes au moins". Elle doit être tout d'abord générative et être conçue "sous la forme d'investissements progressifs du contenu". A côté de cela, elle ne peut pas se limiter au niveau purement taxinomique des significations lexicales juxtaposées, mais aborder également la dimension syntagmatique. Enfin, elle doit être générale, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas se réduire au niveau d'un corpus spécifique, fût-il aussi large que le langage naturel, mais qu'elle doit offrir la possibilité d'analyser une grande variété de systèmes sémiotiques. Cette triple caractérisation montre bien quelle est la nature profonde du projet structuraliste greimassien. Greimas croit foncièrement en la construction algorithmique (cf. la dimension générative) de la sémantique/sémiotique, qui s'appuie entre autres sur la différenciation hiérarchique de plusieurs niveaux. Corollairement, il insiste non moins sur les ambitions universelles de la théorie dont le caractère général dépasse toujours la spécificité de certaines situations et de certains médias. Il va sans dire qu'une telle démarche laisse entièrement de côté les facteurs contextuels et subjectifs.



Le succès et la popularité de la sémiotique greimassienne auprès des théoriciens de la littérature et de la culture sont le produit direct de ces hypothèses fondamentales (l'impact de cette théorie sémiotique a été telle qu'on n'a pas tardé à parler d'une "Ecole de Paris"). L'étude résolument scientifique des processus de signification ne pouvait pas ne pas fasciner les chercheurs en littérature, déçus par la critique impressionniste toujours en vigueur dans les universités des années 60 où les notions de "paraphrase" et d' "évaluation" subjective tenaient souvent lieu de seul outil méthodologique. C'est avec une telle approche normative et idiosyncratique que la sémiotique de Greimas a permis de rompre. En effet, ce que vise le projet de Greimas est l'exploration de structures autrement plus générales. De plus, Greimas semblait pouvoir garantir l'objectivité scientifique des analyses, qui devenaient par là vérifiables et généralisables. La formalisation à laquelle Greimas va vite recourir (et qu'il emprunte en partie à la linguistique de Chomsky, mais aussi à la phonologie et à la logique), est généralement considérée comme un grand atout de son système. Elle va permettre pendant un certain temps de laisser intact le rêve de percer finalement "les" caractéristiques essentielles de "la" littérature. Enfin, force est aussi de constater que dès ses premières publications Greimas ne se contente pas de réfléchir à partir d'exemples fabriqués pour les besoins de l'analyse, mais s'attaque à des énoncés réels, dont certains lui viennent même de la littérature. Certains disciples de Greimas se sont d'ailleurs spécialisés dans l'étude des processus de signification dans les seuls textes littéraires.



Ce glissement progressif d'une théorie sémantique à une démarche d'inspiration plus sémiotique -où la construction du sens au niveau des structures linguistiques du mot et de la phrase est élargie à une recherche sur la composition sémantique d'un texte- est du reste déjà visible dans le développement même de Sémantique structurale.



Le schéma actantiel

Les derniers chapitres du livre, qui abordent la dimension narrative des textes, ouvrent encore davantage l'objet de l'analyse. Dans le sillage des analyses de Propp sur le conte et de Lévi-Strauss sur le mythe, Greimas essaie de décrire la structure profonde globale des textes narratifs. Dans sa Morphologie du conte (1928), qui traitait d'un ensemble de contes de fées russes, Propp avait découvert qu'il était possible de définir le genre au moyen d'une séquence de 31 "fonctions" successives (les unes obligatoires, les autres facultatives) et d'un nombre limité de "dramatis personae". Malgré leurs mille et une différences apparentes, les contes de fées obéissent bel et bien, à un niveau profond, à un seul et même schéma de base, qu'il est possible de généraliser jusqu'à une certaine hauteur. Chez Greimas, les fonctions de Propp subissent une réduction draconienne à quelques fonctions de base fort abstraites. L'idée fondamentale est que la plupart des contes peuvent être ramenés à la structure suivante: "acceptation, respectivement rupture d'un contrat", le héros s'efforçant ensuite d'accomplir dans le réel l'état des choses jugé souhaitable. Décrit de manière à la fois plus économique et plus généralement applicable, le parcours narratif devient la réalisation d'un contrat qui amène le protagoniste à subir plusieurs épreuves afin de se montrer digne de son rôle de sujet proprement dit. Parallèlement, le grand nombre de personnages spécifiques de Propp se voit réduit à trois paires d'actants fonctionnels-syntactiques. La synthèse de cette approche est donnée par le célèbre "schéma acantiel", qui s'est imposé bien au-delà des seuls milieux sémiotiques:



destinateur



sujet



destinataire



adjuvant



objet



opposant



Le facteur essentiel est l'axe reliant le sujet à l'objet et qui représente pour Greimas l'axe du désir. La dynamique narrative naît de l'expérience d'un certain manque et du désir subséquent ressenti par le sjet d'acquérir un objet de valeur (soit concret, soit abstrait). Le deuxième axe, celui du destinateur et du destinataire, est celui de la communication. La plupart du temps, le destinateur est un émetteur qui charge un sujet d'acquérir un objet pour le remettre ensuite au destinataire approprié. Le troisième axe est celui du pouvoir et de la lutte. La fonction de l'adjuvant consiste à aider le sujet dans ses efforts d'acquérir l'objet, alors que l'opposant a pour tâche de faire obstacle à la réalisation de ce désir. Bien entendu, le schéma actantiel permet qu'un même "acteur" assume plusieurs rôles actantiels. Inversement, il arrive aussi que plusieurs personnages représentent en fait le même actant. Enfin, il est également possible qu'un acteur change de rôle actantiel au cours du récit, surtout lorsque l'on a affaire à des structures narratives complexes où plusieurs trajets narratifs se laissent distinguer.



Le seul fait qu'il soit toujours question de schéma "actantiel" et de rôles "actantiels", montre bien que Greimas n'opte pas pour une conception classique du personnage comme "être de papier", mais pour une approche éminemment fonctionnelle. Les actants sont en quelque sorte des rôles sémantiques, des fonctions "vides" qui peuvent être remplies de manière très variée dans le contexte discursif qui est le leur. Ce n'est qu'au niveau de la composante discursive -qui examine la couche lexicale et les structures thématiques d'un texte- qu'il devient possible d'analyser comment les actants se concrétisent en acteurs tangibles munis de propriétés particulières. L'absence systématique du terme conventionnel de personnage illustre également la méfiance de Greimas (et de bien d'autres structuralistes) à l'égard de toute lecture anthropomorphe. En effet, les actants/acteurs ne pas nécessairement représentés par des personnes individuelles, mais peuvent prendre la forme d'instances collectives, fonctionnant en groupe (l'armée, les apôtres), d'animaux (le renard, l'oiseau d'or), de choses (une baguette magique, des bottes de sept lieues) ou même de notions abstraites (le vent, l'honneur, l'amour, l'ordre social).



Les publications ultérieures de Greimas ont affiné et précisé le schéma actantiel. Un premier changement concerne le fait que l'orientation polémique, ou pour le moins concurrentielle de bien des récits, a rendu nécessaire l'hypothèse des récits à sujets multiples. De tels sujets peuvent alors effectuer, en partie ou complètement, soit un parcours parallèle soit un programme opposé. Surtout dans ce dernier cas, il est parfaitement possible qu'en raison de leurs intérêts conflictuels ou opposés, les sujets en question en viennent à se heurter. Afin de décrire adéquatement cette orientation polémique de nombreux récits, Greimas a également introduit la possibilité de combiner plusieurs modèles actantiels, ce qui permet par exemple d'opposer un sujet et un anti-sujet désireux d'acquérir soit le même objet, soit un anti-objet. Pareil dédoublement ne se limite du reste pas seulement à la fonction sujet, mais se donne aussi pour les autres rôles, qui ont tous leur anti-rôle. Dans la logique actantielle, le préfixe anti n'a pourtant pas de connotations péjoratives en soi.



De plus, Greimas a développé un métalangage spécifique, qui a permis de décrire avec davantage de précision les actants d'une part et leurs relations mutuelles d'autre part. Peu à peu, les actants "adjuvant" et "opposant" ont aussi été relégués à l'arrière-plan, en ce sens qu'ils ont été redéfinis plutôt comme des aspects projetés de la compétence du sujet. Dans la version évoluée du schéma, c'est en effet le sujet qui se taille la part du lion, mais la notion d'actant même se voit théorisée de manière moins naïve et statique. Ce qui va retenir l'essentiel des efforts de Greimas, c'est le processus complexe du devenir-sujet.



Malheureusement, Greimas n'a jamais complètement traduit en pratique son élaboration théorique du schéma actantiel, malgré quelques amorces dans le Dictionnaire (qui est moins une dictionnaire qu'une encyclopédie). De même, il n'a jamais poussé à leur terme les changements d'accents qu'il n'a cessé d'apporter à son schéma. Le lecteur doit donc parcourir l'œuvre, elle-même un rien fragmentaire et composée de nombreuses études de cas, en vue d'en faire sa propre synthèse, s'il n'est pas obligé d'interroger de manière indirecte les réflexions de Greimas même sur les textes d'autrui. Le recueil Du sens. Essais sémiotiques (1970, 1983) et le livre Maupassant. La sémiotique du texte (1976), lecture exemplaire d'une nouvelle de Guy de Maupassant, restent à cet égard des textes clés.





La séquence narrative

Reprenant une idée d'Anthropologie Structurale (Lévi-Strass 1958), Greimas pose que tout récit classique est fondé sur une opposition fondamentale, laquelle peut ou non être résolue au cours de la narration. Techniquement parlant et dans une lecture de type paradigmatique (c'est-à-dire globalisante, non temporelle), on peut dès lors décrire la structure narrative de base comme une homologie d'oppositions. Greimas lui-même le met ainsi: "(...) l'existence du contrat (de l'ordre établi) correspond à l'absence du contrat (de l'ordre) comme l'aliénation correspond à la pleine jouissance des valeurs" (Greimas 1966: 208). La dynamique fondamentale d'un récit classique résulte donc d'un certain manque (soit aliénation, soit perturbation), qui fait que l'harmonie (le contrat ou l'ordre) se voit menacée dans son existence même. Dans une lecture de type syntagmatique il importe dès lors de décrire l'enchaînement logique et chronologique des actions à l'aide des opérations et des méchanismes ayant conduit à la résolution des oppositions articulées. Le point de départ d'une telle analyse est l'observation que la situation inaugurale et clausulaire d'un récit ou d'une séquence narrative se reflètent souvent de certaines façons. Au début du récit le héros s'en va, et à la fin il rentre de ses déambulations. Ou au début le protagoniste est pauvre et célibataire, pour se retrouver riche et marié à la fin. Greimas constate en d'autres termes qu'au cours des événements il s'opère une inversion des contenus de la signification, un terme initial se métamorphosant en le terme contraire, ou pour le moins contradictoire (voir infra pour quelques détails sur le "carré sémiotique"). Aussi les événements peuvent-ils être décrits comme autant de transformations d'une situation initiale en une situation finale. A la base de ces transformations se trouve un sujet-opérateur, qui peut ou non coïncider avec le sujet d'état.



De manière générale, Greimas établit une distinction entre deux types d'énoncés qui sont à la base de toute structure narrative. D'une part les énoncés d'état, d'autre part les énoncés de faire. En principe, de tels énoncés n'apparaissent pas littéralement dans un texte spécifique. Les énoncés manifestes et les segments narratifs concrets peuvent cependant, être construits sans trop de difficultés par une lecture un peu théorique, sur le modèle de l'opposition parfaitement admise en structuralisme entre structure de surface et structure profonde sous-jacente.



L'énoncé d'état désigne une relation statique entre un sujet (le sujet d'état) et un objet (qui peut être une propriété ou une compétence) relié à ce sujet. Comme le montrent des phrases comme: "Il est grand", "Il possède une cruche pleine d'écus" ou "il vit", cette relation peut être décrite comme l'attribution d'un prédicat statique à l'aide du verbe copule "être" (éventuellement aussi le verbe "avoir"). Il est essentiel de bien se rendre compte que sujet et objet ne peuvent pas être définis indépendamment l'un de l'autre, comme des entités autonomes, mais que leur valeur est fonction de leur relation réciproque. Le sujet est par définition "celui qui veut acquérir l'objet", alors qu'inversement l'objet peut être défini comme "ce que le sujet veut acquérir". A l'intérieur de la catégorie actantielle d'objet, on fait ensuite une distinction supplémentaire entre objets de valeur concrets (de l'argent, une femme…) d'une part et objets modaux plus abstraits (l'honneur, la richesse, l'amour, l'identité) d'autre part. Mais il est important de voir que le sujet de pareils énoncés est un sujet d'état et non pas un sujet-opérateur proprement dit.



Dans Sémantique structurale, cette relation entre sujet et objet est nommée "désir". Plus tard, la terminologie greimassienne devient plus abstraite et parle de "jonction", soit un axe sémantique qu'il est possible de scinder en conjonction (/\) ou présence versus disjonction (\/) ou absence. Ainsi Greimas peut-il opposer deux types d'énoncés d'état: les conjonctions (S /\ O) et les disjonctions (S \/ O). Dans un texte concret, ces catégories peuvent être manifestées de bien des manières différentes. Dans le cas d'une disjonction, on peut par exemple penser à une perte ou à un décès, mais non moins à une renonciation ou à un éloignement géographique.



Les énoncés de faire par contre désignent un "faire" ou un "devenir". Leur contenu n'est pas une relation statique, mais un événement dynamique où s'accomplit une certaine trasnformation, la transition d'un état initital à un état final. Dans une lecture théorique, ces deux états, l'initial et le final, peuvent être construits comme deux états opposés. Et puisqu'il n'existe que deux types de jonction, il n'existe logiquement que deux types d'énoncés de faire, que la sémiotique greimassienne nomme respectivement, selon le résultat final obtenu, des "transformations conjonctives" ou des "transformations disjonctives". Schématiquement, cette opposition peut être visualisée comme suit:



transformation conjonctive F(S1)=>[(S2 \/ O)->(S2 /\ O)]

transformation disjonctive F(S1)=>[(S2 /\ O)->(S2 \/ O)]



Comme l'indique telle représentation formalisée, toute transformation a comme base un sujet-opérateur (S1 dans le schéma), lequel ne doit pas coïncider forcément avec S2, le sujet d'état. Les deux sujets peuvent bien sûr coïncider (comme il arrive dans le cas d'une transformation conjonctive telle que n"conquérir" ou "s'approprier"), mais cela est tout sauf une nécessité (dans le cas d'une transformation disjonctive comme "se séparer de" ou "perdre", les deux sujets ne coïncident pas). Evidemment, les exemples donnés ne représentent pas des phrases réelles, ce sont au contraire des reformulations théoriques de telle ou telle situation narrative. Parfois, cette reformation métalinguistique pose du reste de vrais problèmes. Prenons par exemple la phrase "Il est fou". Selon l'idéologie du texte, une telle phrase aura tantôt un sens positif (comme une conjonction S /\ O, O étant ici la folie) et tantôt un sens négatif (comme une disjonction S \/ O, O étant ici la raison). Il est parfaitement envisageable que dans tel texte, par exemple d'inspiration romantique, la folie apparaît comme un objet positif, digne d'être poursuivi, alors que dans tel autre elle s'avère une maladie horrible à éviter coûte que coûte.



A l'aide de ces concepts fondamentaux, il devient possible de concevoir le récit standard comme une séquence de quatre phases (chacune d'elles comprenant plusieurs sous-programmes narratifs), qui s'enchaînent de manière plutôt chronologique et qui de toutes façons se présupposent logiquement l'une l'autre.



La phase cruciale est évidemment celle où intervient le sujet-opérateur pour réaliser la transformation visée (soit conjonction, soit disjonction), avec ou sans confrontation directe avec l'anti-sujet ou l'opposant: le héros vainc le dragon, la secrétaire se fait aimer de son patron, l'étudiant réussit un examen décisif. Greimas parle ici d'une phase de performance ou d'exécution principale, une phase qu'il circonscrit -au moyen des deux verbes fondamentaux "faire" et "être"- comme un faire-être, soit la réalisation effective de l'état de choses souhaité dans la réalité.



Toutefois, une telle action ne devient logiquement possible que dans la mesure où le sujet s'est préalablement donné pour tâche de chercher l'objet en question et de l'obtenir, s'il le faut enn usant de force. Avant cette décision, sujet et objet ne sont en effet pas encore liés l'un à l'autre (ce qui implique qu'ils n'existent même pas en tant que rôles actantiels!). Cette initiative du sujet a lieu durant la phase du contrat ou de la manipulation. A l'intérieur de cette phase de faire-faire, on peut distinguer deux composantes. D'un côté, il y a le faire-savoir. Le destinateur-émetteur informe le sujet virtuel -qui ne deviendra un sujet réalisé que dans la phase de performance, à travers l'acquisition de l'objet- de la nature comme de la valeur de l'objet recherché. Parfois il fournit également plus d'informations sur les missions à exécuter et sur les dangers qu'elles impliquent. De l'autre côté, mais parallèlement, il y a aussi le faire-vouloir, soit la tentative du destinateur -qui peut se réclamer de son pouvoir, promettre une récompense, recourir aux menaces…- de pousser le sujet virtuel à accepter le contrat. Bien entendu il est pensable aussi que le sujet se décide à agir sans l'intervention d'un tiers. Il fonctionne alors comme son propre destinateur.



Afin de remplir heureusement le contrat, il ne suffit pas que le sujet ait une connaissance initiale de sa mission. Encore et surtout faut-il qu'il dispose des compétences nécessaires à l'exécution de sa tâche. L'acquisition de ces savoirs et compétences a lieu durant la phase de compétence, la phase de l'être-faire qui prépare et rend possible l'action proprement dite. Au cours de cette phrase, le sujet acquiert un certain nombre d'objets modaux qui doivent l'aider durant sa quête et son épreuve centrale. D'abord le devoir et le vouloir, soit les modalités qui le font comprendre l'importance de sa mission, et ensuite le pouvoir et le savoir. Tant qu'il n'a pas acquis ces quatre compétences, le sujet virtuel ne peut pas devenir sujet actuel. Souvent, la phase de compétence est située géographiquement dans une zone de transition (un lieu de passage) et elle se termine par l'acquisition d'un instrument (objet partiel ou adjuvant qui symbolise en quelque sorte les savoirs et compétences nouvellement acquis).



Le programme narratif se clôt enfin par la phase de sanction ou d'évaluation. Dans cette phase, le destinateur -rôle généralement absent au cours du récit de l'épreuve centrale- intervient de nouveau, cette fois-ci pour juger l'exécution du contrat. Il vérifie par exemple si la mission a été menée à son terme, si l'objet acquis correspond bien à celui dont on avait convenu et s'il a bien été remis au destinaire, ou encore si le sujet est bien celui dont il joue le rôle (car il est des sujets trompeurs, qui ne peuvent pas être reconnus comme les "vrais" sujets de la séquence narrative). Au coeur de cette phase se trouve donc l'évaluation de la valeur de vérité, qui est affaire d'être-être. L'ensemble se termine par la récompense ou la punition du sujet par le destinateur.



Le schéma suivant résume l'ensemble de la séquence narrative:



phase de manipulation



phase de compétence



phase de performance



phase de sanction



faire-faire



être-faire



faire-être



être-être



destinateur-émetteur











destinateur-évaluateur



faire-savoir

faire-vouloir



devoir-faire

vouloir-faire pouvoir-faire

savoir-faire



faire







sujet (virtuel)



sujet (actuel)



sujet (réalisé)



sujet (reconnu)



dim. cognitive



dim. pragmatique



dim. pragmatique



dim. cognitive







Ce schéma révèle aussi une certaine symétrie entre la maniulation et la sanction d'une part, qu'il est possible de décrire comme des phases cognitives et où le destinateur joue un rôle important, et la compétence et la performance d'autre part, qui relèvent plutôt du faire pragmatique.



Il ne faut pas commettre l'erreur de penser que tout récit ou toute séquence narrative comportent toujours chacune de ces quatre phases ou que ces quatre phases se produisent toujours dans cet ordre-là. Il est parfaitement possible qu'au niveau de la manifestation une ou plusieurs des phases demeurent absentes. Dans ce cas, c'est à la lecture théorique de les reconstruire. De la même façon, il est possible qu'en fonction de certaines caractéristiques du récit ou de certaines conventions génériques, l'une ou l'autre des quatre phases soit fortement accentuée. L'approfondissement psychologique se fera bien entendu surtout à travers une élaboration détaillée des phases de compétence et de manipulation, alors qu'un texte accordant une grande place à l'action des personnages mettra surtout l'accent sur la phase de performance.





Structure de surface et structure profonde

La théorie greimassienne des processus de signification et de la narrativité ne se limite pas à l'exposé qu'on vient d'en faire. La composante narrative de la théorie concerne plus précisément un ensemble de règles qui gère l'enchaînement des événements d'un récit et examine la fonction actantielle des personnages qui y jouent un rôle. Au niveau le plus profond, c'est-à-dire le plus général, l'approche greimassienne permet une réduction plus poussé qui aboutit à une structure élémentaire de la signification, à un jeu de quelques oppositions fondamentales générant la dynamique narrative tout entière. Voici quelques exemples de telles oppositions fondamentales (dont l'idée, typiquement structuraliste, se donnait déjà clairement à lire dans les études de Lévi-Strauss): nature versus culture, individu versus société, vie versus mort, être versus paraître… Greimas articule ces oppositions au moyen de la théorie du carré sémiotique, qui module les oppositions classiques en distinguant entre les termes et leurs équivalents contradictoires, ce qui permet de les inscrire à l'intérieur d'une structure à quatre termes. L'opposition vie/mort, par exemple, se présente dès lors ainsi:



vie





mort





X



non-mort





non-vie



Un tel carré sémiotique peut être lu de manière statique mais aussi de manière dynamique. Dans le premier cas il articule les oppositions élémentaires qui structurent un texte. Dans le second cas, on s'interroge sur la manière dont la signification se déplace via les axes verticaux et diagonaux du schéma. Ce sont en effet ces opérations-là qui fondent la dynamique narrative spécifique d'un texte. Elles ouvrent l'opposition binaire rigide, non pas seulement par la substitution de quatre catégories aux deux pôles contraires, mais aussi et surtout parce que les processus de transformation deviennent maintenant elles-mêmes analysables. Dans l'exemple précité, le passage de "vie" à "non-vie" peut ainsi être considéré comme un processus de dégradation que l'on peut lire, selon bien sûr les particularités du texte analysé, comme une maladie grave, une usure mécanique ou un arbre perdant ses feuilles.



Dit autrement, il ne suffit pas de faire déboucher l'analyse sur les niveaux les plus profonds de la production du sens, c'est-à-dire sur le niveau du carré sémiotique. une analyse sémantique pleinement satisfaisante doit pouvoir analyser non moins la trajectoire inverse, qui conduit du niveau de sens le plus abstrait à l'encodage concret d'un texte. Les schémas se muent alors en structures discursives (qui comprennent entre autres le recours à toutes sortes d'isotopies), les actants abstraits se transforment en des acteurs quasiment individuels. En ce sens, la théorie de Greimas est clairement structuraliste: l'analyse d'un signe y présuppose invariablement l'existence de plusieurs niveaux d'analyse hiérarchiquement interdépendants.



Bibliographie

Algirdas Julien GREIMAS (1966). Sémantique structurale. Paris: Larousse.

Claude LEVI-STRAUSS (1958). Anthropologie structurale. Paris: Plon.



























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La sémiotique narrative de A.J. Greimas

(traduction du néerlandais par Jan Baetens)



Author: Dirk de Geest

Published: January 2003



Abstract (E): The present article presents an overview of Greimas' narrative semiotics, more particularly of the Greimasian theory of actantial logic on the one hand and the basic narrative sequence on the other hand. The author focusses on the contextualisation of Greimasian semiotics, which is distinct from an exclusively linguistically oriented semantics.

Abstract (F): Le présent article donne un aperçu de la sémiotique narrative de Greimas, plus particulièrement de la théorie greimaassience de la logique actantielle d'une part et de la séquence narrative de base d'autre part. L'approche de l'auteur privélégie la contextualisation de la sémiotique greimassienne, qui se voit distinguée de la sémantique d'orientation exclusivement linguistique.

Keywords: Greimas, actant, sequence, modalities







De la sémantique à la sémiotique

Pour bien comprendre la sémiotique narrative de Greimas, il importe de rappeler que cette théorie plonge ses racines dans la théorie sémantique de l'auteur, dont les fondements se donnent à lire dans Sémantique structurale (Greimas 1966). Ce livre fondamental cherche à poser les bases scientifiques de la sémantique des mots en particulier et des processus de signification dans la société et dans la culture en général. Bien que les ambitions de Sémantique structurale soient essentiellement d'ordre linguistique, la recherche menée dans ce livre se distingue doublement de la linguistique telle qu'elle était pratiquée à l'époque par les partisans de la grammaire transformative-générationnelle de Chomsky. D'abord, parce que Greimas opte pour une théorie grammaticale dont la portée excède de loin celle de la seule phrase. De là son intérêt très prononcé pour la manière dont se crée la cohérence plus large entre phrases et même à l'intérieur d'un texte complet. Ensuite parce que, à la différence de la plupart des autres modèles de la grammaire du texte, qui privilégient fortement le critère syntactique, le point de départ de Greimas est explicitement sémantique. Greimas refuse d'expliquer la cohérence textuelle à partir de phénomènes syntactiques de surface (comme par exemple les termes de coréférence ou encore les pronoms). Il postule par contre que la cohérence textuelle se fonde, d'une part, sur la répétition continue de certaines composantes sémantiques et, d'autre part, sur la manière dont un texte est pour ainsi dire généré par un nombre limité d'axes sémantiques (que Greimas conçoit toujours en termes d'oppositions fondamentales). A cet égard, c'est surtout la notion d'isotopie qui s'impose à l'attention. Les isotopies, qui indiquent la répétition de certains éléments sémantiques ou grammaticaux, sont une condition nécessaire non seulement à la cohérence d'un texte mais aussi et surtout à l'établissement du sens même à l'intérieur d'un texte ou d'un fragment textuel. De la même façon, la notion d'isotopie est très utile pour rendre compte de certains phénomènes stylistiques comme la métaphore, le calembour ou l'ambivalence, que Greimas analyse en termes d'interaction isotopique et de poly-isotopies.



Dans son article "Sémantique", publié dans le premier volume de Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas & Courtès 1979), Greimas a précisé lui-même ce qu'il entend par signification et théorie du sens. La sémantique, pour lui, doit répondre à "trois conditions importantes au moins". Elle doit être tout d'abord générative et être conçue "sous la forme d'investissements progressifs du contenu". A côté de cela, elle ne peut pas se limiter au niveau purement taxinomique des significations lexicales juxtaposées, mais aborder également la dimension syntagmatique. Enfin, elle doit être générale, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas se réduire au niveau d'un corpus spécifique, fût-il aussi large que le langage naturel, mais qu'elle doit offrir la possibilité d'analyser une grande variété de systèmes sémiotiques. Cette triple caractérisation montre bien quelle est la nature profonde du projet structuraliste greimassien. Greimas croit foncièrement en la construction algorithmique (cf. la dimension générative) de la sémantique/sémiotique, qui s'appuie entre autres sur la différenciation hiérarchique de plusieurs niveaux. Corollairement, il insiste non moins sur les ambitions universelles de la théorie dont le caractère général dépasse toujours la spécificité de certaines situations et de certains médias. Il va sans dire qu'une telle démarche laisse entièrement de côté les facteurs contextuels et subjectifs.



Le succès et la popularité de la sémiotique greimassienne auprès des théoriciens de la littérature et de la culture sont le produit direct de ces hypothèses fondamentales (l'impact de cette théorie sémiotique a été telle qu'on n'a pas tardé à parler d'une "Ecole de Paris"). L'étude résolument scientifique des processus de signification ne pouvait pas ne pas fasciner les chercheurs en littérature, déçus par la critique impressionniste toujours en vigueur dans les universités des années 60 où les notions de "paraphrase" et d' "évaluation" subjective tenaient souvent lieu de seul outil méthodologique. C'est avec une telle approche normative et idiosyncratique que la sémiotique de Greimas a permis de rompre. En effet, ce que vise le projet de Greimas est l'exploration de structures autrement plus générales. De plus, Greimas semblait pouvoir garantir l'objectivité scientifique des analyses, qui devenaient par là vérifiables et généralisables. La formalisation à laquelle Greimas va vite recourir (et qu'il emprunte en partie à la linguistique de Chomsky, mais aussi à la phonologie et à la logique), est généralement considérée comme un grand atout de son système. Elle va permettre pendant un certain temps de laisser intact le rêve de percer finalement "les" caractéristiques essentielles de "la" littérature. Enfin, force est aussi de constater que dès ses premières publications Greimas ne se contente pas de réfléchir à partir d'exemples fabriqués pour les besoins de l'analyse, mais s'attaque à des énoncés réels, dont certains lui viennent même de la littérature. Certains disciples de Greimas se sont d'ailleurs spécialisés dans l'étude des processus de signification dans les seuls textes littéraires.



Ce glissement progressif d'une théorie sémantique à une démarche d'inspiration plus sémiotique -où la construction du sens au niveau des structures linguistiques du mot et de la phrase est élargie à une recherche sur la composition sémantique d'un texte- est du reste déjà visible dans le développement même de Sémantique structurale.



Le schéma actantiel

Les derniers chapitres du livre, qui abordent la dimension narrative des textes, ouvrent encore davantage l'objet de l'analyse. Dans le sillage des analyses de Propp sur le conte et de Lévi-Strauss sur le mythe, Greimas essaie de décrire la structure profonde globale des textes narratifs. Dans sa Morphologie du conte (1928), qui traitait d'un ensemble de contes de fées russes, Propp avait découvert qu'il était possible de définir le genre au moyen d'une séquence de 31 "fonctions" successives (les unes obligatoires, les autres facultatives) et d'un nombre limité de "dramatis personae". Malgré leurs mille et une différences apparentes, les contes de fées obéissent bel et bien, à un niveau profond, à un seul et même schéma de base, qu'il est possible de généraliser jusqu'à une certaine hauteur. Chez Greimas, les fonctions de Propp subissent une réduction draconienne à quelques fonctions de base fort abstraites. L'idée fondamentale est que la plupart des contes peuvent être ramenés à la structure suivante: "acceptation, respectivement rupture d'un contrat", le héros s'efforçant ensuite d'accomplir dans le réel l'état des choses jugé souhaitable. Décrit de manière à la fois plus économique et plus généralement applicable, le parcours narratif devient la réalisation d'un contrat qui amène le protagoniste à subir plusieurs épreuves afin de se montrer digne de son rôle de sujet proprement dit. Parallèlement, le grand nombre de personnages spécifiques de Propp se voit réduit à trois paires d'actants fonctionnels-syntactiques. La synthèse de cette approche est donnée par le célèbre "schéma acantiel", qui s'est imposé bien au-delà des seuls milieux sémiotiques:



destinateur



sujet



destinataire



adjuvant



objet



opposant



Le facteur essentiel est l'axe reliant le sujet à l'objet et qui représente pour Greimas l'axe du désir. La dynamique narrative naît de l'expérience d'un certain manque et du désir subséquent ressenti par le sjet d'acquérir un objet de valeur (soit concret, soit abstrait). Le deuxième axe, celui du destinateur et du destinataire, est celui de la communication. La plupart du temps, le destinateur est un émetteur qui charge un sujet d'acquérir un objet pour le remettre ensuite au destinataire approprié. Le troisième axe est celui du pouvoir et de la lutte. La fonction de l'adjuvant consiste à aider le sujet dans ses efforts d'acquérir l'objet, alors que l'opposant a pour tâche de faire obstacle à la réalisation de ce désir. Bien entendu, le schéma actantiel permet qu'un même "acteur" assume plusieurs rôles actantiels. Inversement, il arrive aussi que plusieurs personnages représentent en fait le même actant. Enfin, il est également possible qu'un acteur change de rôle actantiel au cours du récit, surtout lorsque l'on a affaire à des structures narratives complexes où plusieurs trajets narratifs se laissent distinguer.



Le seul fait qu'il soit toujours question de schéma "actantiel" et de rôles "actantiels", montre bien que Greimas n'opte pas pour une conception classique du personnage comme "être de papier", mais pour une approche éminemment fonctionnelle. Les actants sont en quelque sorte des rôles sémantiques, des fonctions "vides" qui peuvent être remplies de manière très variée dans le contexte discursif qui est le leur. Ce n'est qu'au niveau de la composante discursive -qui examine la couche lexicale et les structures thématiques d'un texte- qu'il devient possible d'analyser comment les actants se concrétisent en acteurs tangibles munis de propriétés particulières. L'absence systématique du terme conventionnel de personnage illustre également la méfiance de Greimas (et de bien d'autres structuralistes) à l'égard de toute lecture anthropomorphe. En effet, les actants/acteurs ne pas nécessairement représentés par des personnes individuelles, mais peuvent prendre la forme d'instances collectives, fonctionnant en groupe (l'armée, les apôtres), d'animaux (le renard, l'oiseau d'or), de choses (une baguette magique, des bottes de sept lieues) ou même de notions abstraites (le vent, l'honneur, l'amour, l'ordre social).



Les publications ultérieures de Greimas ont affiné et précisé le schéma actantiel. Un premier changement concerne le fait que l'orientation polémique, ou pour le moins concurrentielle de bien des récits, a rendu nécessaire l'hypothèse des récits à sujets multiples. De tels sujets peuvent alors effectuer, en partie ou complètement, soit un parcours parallèle soit un programme opposé. Surtout dans ce dernier cas, il est parfaitement possible qu'en raison de leurs intérêts conflictuels ou opposés, les sujets en question en viennent à se heurter. Afin de décrire adéquatement cette orientation polémique de nombreux récits, Greimas a également introduit la possibilité de combiner plusieurs modèles actantiels, ce qui permet par exemple d'opposer un sujet et un anti-sujet désireux d'acquérir soit le même objet, soit un anti-objet. Pareil dédoublement ne se limite du reste pas seulement à la fonction sujet, mais se donne aussi pour les autres rôles, qui ont tous leur anti-rôle. Dans la logique actantielle, le préfixe anti n'a pourtant pas de connotations péjoratives en soi.



De plus, Greimas a développé un métalangage spécifique, qui a permis de décrire avec davantage de précision les actants d'une part et leurs relations mutuelles d'autre part. Peu à peu, les actants "adjuvant" et "opposant" ont aussi été relégués à l'arrière-plan, en ce sens qu'ils ont été redéfinis plutôt comme des aspects projetés de la compétence du sujet. Dans la version évoluée du schéma, c'est en effet le sujet qui se taille la part du lion, mais la notion d'actant même se voit théorisée de manière moins naïve et statique. Ce qui va retenir l'essentiel des efforts de Greimas, c'est le processus complexe du devenir-sujet.



Malheureusement, Greimas n'a jamais complètement traduit en pratique son élaboration théorique du schéma actantiel, malgré quelques amorces dans le Dictionnaire (qui est moins une dictionnaire qu'une encyclopédie). De même, il n'a jamais poussé à leur terme les changements d'accents qu'il n'a cessé d'apporter à son schéma. Le lecteur doit donc parcourir l'œuvre, elle-même un rien fragmentaire et composée de nombreuses études de cas, en vue d'en faire sa propre synthèse, s'il n'est pas obligé d'interroger de manière indirecte les réflexions de Greimas même sur les textes d'autrui. Le recueil Du sens. Essais sémiotiques (1970, 1983) et le livre Maupassant. La sémiotique du texte (1976), lecture exemplaire d'une nouvelle de Guy de Maupassant, restent à cet égard des textes clés.





La séquence narrative

Reprenant une idée d'Anthropologie Structurale (Lévi-Strass 1958), Greimas pose que tout récit classique est fondé sur une opposition fondamentale, laquelle peut ou non être résolue au cours de la narration. Techniquement parlant et dans une lecture de type paradigmatique (c'est-à-dire globalisante, non temporelle), on peut dès lors décrire la structure narrative de base comme une homologie d'oppositions. Greimas lui-même le met ainsi: "(...) l'existence du contrat (de l'ordre établi) correspond à l'absence du contrat (de l'ordre) comme l'aliénation correspond à la pleine jouissance des valeurs" (Greimas 1966: 208). La dynamique fondamentale d'un récit classique résulte donc d'un certain manque (soit aliénation, soit perturbation), qui fait que l'harmonie (le contrat ou l'ordre) se voit menacée dans son existence même. Dans une lecture de type syntagmatique il importe dès lors de décrire l'enchaînement logique et chronologique des actions à l'aide des opérations et des méchanismes ayant conduit à la résolution des oppositions articulées. Le point de départ d'une telle analyse est l'observation que la situation inaugurale et clausulaire d'un récit ou d'une séquence narrative se reflètent souvent de certaines façons. Au début du récit le héros s'en va, et à la fin il rentre de ses déambulations. Ou au début le protagoniste est pauvre et célibataire, pour se retrouver riche et marié à la fin. Greimas constate en d'autres termes qu'au cours des événements il s'opère une inversion des contenus de la signification, un terme initial se métamorphosant en le terme contraire, ou pour le moins contradictoire (voir infra pour quelques détails sur le "carré sémiotique"). Aussi les événements peuvent-ils être décrits comme autant de transformations d'une situation initiale en une situation finale. A la base de ces transformations se trouve un sujet-opérateur, qui peut ou non coïncider avec le sujet d'état.



De manière générale, Greimas établit une distinction entre deux types d'énoncés qui sont à la base de toute structure narrative. D'une part les énoncés d'état, d'autre part les énoncés de faire. En principe, de tels énoncés n'apparaissent pas littéralement dans un texte spécifique. Les énoncés manifestes et les segments narratifs concrets peuvent cependant, être construits sans trop de difficultés par une lecture un peu théorique, sur le modèle de l'opposition parfaitement admise en structuralisme entre structure de surface et structure profonde sous-jacente.



L'énoncé d'état désigne une relation statique entre un sujet (le sujet d'état) et un objet (qui peut être une propriété ou une compétence) relié à ce sujet. Comme le montrent des phrases comme: "Il est grand", "Il possède une cruche pleine d'écus" ou "il vit", cette relation peut être décrite comme l'attribution d'un prédicat statique à l'aide du verbe copule "être" (éventuellement aussi le verbe "avoir"). Il est essentiel de bien se rendre compte que sujet et objet ne peuvent pas être définis indépendamment l'un de l'autre, comme des entités autonomes, mais que leur valeur est fonction de leur relation réciproque. Le sujet est par définition "celui qui veut acquérir l'objet", alors qu'inversement l'objet peut être défini comme "ce que le sujet veut acquérir". A l'intérieur de la catégorie actantielle d'objet, on fait ensuite une distinction supplémentaire entre objets de valeur concrets (de l'argent, une femme…) d'une part et objets modaux plus abstraits (l'honneur, la richesse, l'amour, l'identité) d'autre part. Mais il est important de voir que le sujet de pareils énoncés est un sujet d'état et non pas un sujet-opérateur proprement dit.



Dans Sémantique structurale, cette relation entre sujet et objet est nommée "désir". Plus tard, la terminologie greimassienne devient plus abstraite et parle de "jonction", soit un axe sémantique qu'il est possible de scinder en conjonction (/\) ou présence versus disjonction (\/) ou absence. Ainsi Greimas peut-il opposer deux types d'énoncés d'état: les conjonctions (S /\ O) et les disjonctions (S \/ O). Dans un texte concret, ces catégories peuvent être manifestées de bien des manières différentes. Dans le cas d'une disjonction, on peut par exemple penser à une perte ou à un décès, mais non moins à une renonciation ou à un éloignement géographique.



Les énoncés de faire par contre désignent un "faire" ou un "devenir". Leur contenu n'est pas une relation statique, mais un événement dynamique où s'accomplit une certaine trasnformation, la transition d'un état initital à un état final. Dans une lecture théorique, ces deux états, l'initial et le final, peuvent être construits comme deux états opposés. Et puisqu'il n'existe que deux types de jonction, il n'existe logiquement que deux types d'énoncés de faire, que la sémiotique greimassienne nomme respectivement, selon le résultat final obtenu, des "transformations conjonctives" ou des "transformations disjonctives". Schématiquement, cette opposition peut être visualisée comme suit:



transformation conjonctive F(S1)=>[(S2 \/ O)->(S2 /\ O)]

transformation disjonctive F(S1)=>[(S2 /\ O)->(S2 \/ O)]



Comme l'indique telle représentation formalisée, toute transformation a comme base un sujet-opérateur (S1 dans le schéma), lequel ne doit pas coïncider forcément avec S2, le sujet d'état. Les deux sujets peuvent bien sûr coïncider (comme il arrive dans le cas d'une transformation conjonctive telle que n"conquérir" ou "s'approprier"), mais cela est tout sauf une nécessité (dans le cas d'une transformation disjonctive comme "se séparer de" ou "perdre", les deux sujets ne coïncident pas). Evidemment, les exemples donnés ne représentent pas des phrases réelles, ce sont au contraire des reformulations théoriques de telle ou telle situation narrative. Parfois, cette reformation métalinguistique pose du reste de vrais problèmes. Prenons par exemple la phrase "Il est fou". Selon l'idéologie du texte, une telle phrase aura tantôt un sens positif (comme une conjonction S /\ O, O étant ici la folie) et tantôt un sens négatif (comme une disjonction S \/ O, O étant ici la raison). Il est parfaitement envisageable que dans tel texte, par exemple d'inspiration romantique, la folie apparaît comme un objet positif, digne d'être poursuivi, alors que dans tel autre elle s'avère une maladie horrible à éviter coûte que coûte.



A l'aide de ces concepts fondamentaux, il devient possible de concevoir le récit standard comme une séquence de quatre phases (chacune d'elles comprenant plusieurs sous-programmes narratifs), qui s'enchaînent de manière plutôt chronologique et qui de toutes façons se présupposent logiquement l'une l'autre.



La phase cruciale est évidemment celle où intervient le sujet-opérateur pour réaliser la transformation visée (soit conjonction, soit disjonction), avec ou sans confrontation directe avec l'anti-sujet ou l'opposant: le héros vainc le dragon, la secrétaire se fait aimer de son patron, l'étudiant réussit un examen décisif. Greimas parle ici d'une phase de performance ou d'exécution principale, une phase qu'il circonscrit -au moyen des deux verbes fondamentaux "faire" et "être"- comme un faire-être, soit la réalisation effective de l'état de choses souhaité dans la réalité.



Toutefois, une telle action ne devient logiquement possible que dans la mesure où le sujet s'est préalablement donné pour tâche de chercher l'objet en question et de l'obtenir, s'il le faut enn usant de force. Avant cette décision, sujet et objet ne sont en effet pas encore liés l'un à l'autre (ce qui implique qu'ils n'existent même pas en tant que rôles actantiels!). Cette initiative du sujet a lieu durant la phase du contrat ou de la manipulation. A l'intérieur de cette phase de faire-faire, on peut distinguer deux composantes. D'un côté, il y a le faire-savoir. Le destinateur-émetteur informe le sujet virtuel -qui ne deviendra un sujet réalisé que dans la phase de performance, à travers l'acquisition de l'objet- de la nature comme de la valeur de l'objet recherché. Parfois il fournit également plus d'informations sur les missions à exécuter et sur les dangers qu'elles impliquent. De l'autre côté, mais parallèlement, il y a aussi le faire-vouloir, soit la tentative du destinateur -qui peut se réclamer de son pouvoir, promettre une récompense, recourir aux menaces…- de pousser le sujet virtuel à accepter le contrat. Bien entendu il est pensable aussi que le sujet se décide à agir sans l'intervention d'un tiers. Il fonctionne alors comme son propre destinateur.



Afin de remplir heureusement le contrat, il ne suffit pas que le sujet ait une connaissance initiale de sa mission. Encore et surtout faut-il qu'il dispose des compétences nécessaires à l'exécution de sa tâche. L'acquisition de ces savoirs et compétences a lieu durant la phase de compétence, la phase de l'être-faire qui prépare et rend possible l'action proprement dite. Au cours de cette phrase, le sujet acquiert un certain nombre d'objets modaux qui doivent l'aider durant sa quête et son épreuve centrale. D'abord le devoir et le vouloir, soit les modalités qui le font comprendre l'importance de sa mission, et ensuite le pouvoir et le savoir. Tant qu'il n'a pas acquis ces quatre compétences, le sujet virtuel ne peut pas devenir sujet actuel. Souvent, la phase de compétence est située géographiquement dans une zone de transition (un lieu de passage) et elle se termine par l'acquisition d'un instrument (objet partiel ou adjuvant qui symbolise en quelque sorte les savoirs et compétences nouvellement acquis).



Le programme narratif se clôt enfin par la phase de sanction ou d'évaluation. Dans cette phase, le destinateur -rôle généralement absent au cours du récit de l'épreuve centrale- intervient de nouveau, cette fois-ci pour juger l'exécution du contrat. Il vérifie par exemple si la mission a été menée à son terme, si l'objet acquis correspond bien à celui dont on avait convenu et s'il a bien été remis au destinaire, ou encore si le sujet est bien celui dont il joue le rôle (car il est des sujets trompeurs, qui ne peuvent pas être reconnus comme les "vrais" sujets de la séquence narrative). Au coeur de cette phase se trouve donc l'évaluation de la valeur de vérité, qui est affaire d'être-être. L'ensemble se termine par la récompense ou la punition du sujet par le destinateur.



Le schéma suivant résume l'ensemble de la séquence narrative:



phase de manipulation



phase de compétence



phase de performance



phase de sanction



faire-faire



être-faire



faire-être



être-être



destinateur-émetteur











destinateur-évaluateur



faire-savoir

faire-vouloir



devoir-faire

vouloir-faire pouvoir-faire

savoir-faire



faire







sujet (virtuel)



sujet (actuel)



sujet (réalisé)



sujet (reconnu)



dim. cognitive



dim. pragmatique



dim. pragmatique



dim. cognitive







Ce schéma révèle aussi une certaine symétrie entre la maniulation et la sanction d'une part, qu'il est possible de décrire comme des phases cognitives et où le destinateur joue un rôle important, et la compétence et la performance d'autre part, qui relèvent plutôt du faire pragmatique.



Il ne faut pas commettre l'erreur de penser que tout récit ou toute séquence narrative comportent toujours chacune de ces quatre phases ou que ces quatre phases se produisent toujours dans cet ordre-là. Il est parfaitement possible qu'au niveau de la manifestation une ou plusieurs des phases demeurent absentes. Dans ce cas, c'est à la lecture théorique de les reconstruire. De la même façon, il est possible qu'en fonction de certaines caractéristiques du récit ou de certaines conventions génériques, l'une ou l'autre des quatre phases soit fortement accentuée. L'approfondissement psychologique se fera bien entendu surtout à travers une élaboration détaillée des phases de compétence et de manipulation, alors qu'un texte accordant une grande place à l'action des personnages mettra surtout l'accent sur la phase de performance.





Structure de surface et structure profonde

La théorie greimassienne des processus de signification et de la narrativité ne se limite pas à l'exposé qu'on vient d'en faire. La composante narrative de la théorie concerne plus précisément un ensemble de règles qui gère l'enchaînement des événements d'un récit et examine la fonction actantielle des personnages qui y jouent un rôle. Au niveau le plus profond, c'est-à-dire le plus général, l'approche greimassienne permet une réduction plus poussé qui aboutit à une structure élémentaire de la signification, à un jeu de quelques oppositions fondamentales générant la dynamique narrative tout entière. Voici quelques exemples de telles oppositions fondamentales (dont l'idée, typiquement structuraliste, se donnait déjà clairement à lire dans les études de Lévi-Strauss): nature versus culture, individu versus société, vie versus mort, être versus paraître… Greimas articule ces oppositions au moyen de la théorie du carré sémiotique, qui module les oppositions classiques en distinguant entre les termes et leurs équivalents contradictoires, ce qui permet de les inscrire à l'intérieur d'une structure à quatre termes. L'opposition vie/mort, par exemple, se présente dès lors ainsi:



vie





mort





X



non-mort





non-vie



Un tel carré sémiotique peut être lu de manière statique mais aussi de manière dynamique. Dans le premier cas il articule les oppositions élémentaires qui structurent un texte. Dans le second cas, on s'interroge sur la manière dont la signification se déplace via les axes verticaux et diagonaux du schéma. Ce sont en effet ces opérations-là qui fondent la dynamique narrative spécifique d'un texte. Elles ouvrent l'opposition binaire rigide, non pas seulement par la substitution de quatre catégories aux deux pôles contraires, mais aussi et surtout parce que les processus de transformation deviennent maintenant elles-mêmes analysables. Dans l'exemple précité, le passage de "vie" à "non-vie" peut ainsi être considéré comme un processus de dégradation que l'on peut lire, selon bien sûr les particularités du texte analysé, comme une maladie grave, une usure mécanique ou un arbre perdant ses feuilles.



Dit autrement, il ne suffit pas de faire déboucher l'analyse sur les niveaux les plus profonds de la production du sens, c'est-à-dire sur le niveau du carré sémiotique. une analyse sémantique pleinement satisfaisante doit pouvoir analyser non moins la trajectoire inverse, qui conduit du niveau de sens le plus abstrait à l'encodage concret d'un texte. Les schémas se muent alors en structures discursives (qui comprennent entre autres le recours à toutes sortes d'isotopies), les actants abstraits se transforment en des acteurs quasiment individuels. En ce sens, la théorie de Greimas est clairement structuraliste: l'analyse d'un signe y présuppose invariablement l'existence de plusieurs niveaux d'analyse hiérarchiquement interdépendants.



Bibliographie

Algirdas Julien GREIMAS (1966). Sémantique structurale. Paris: Larousse.

Claude LEVI-STRAUSS (1958). Anthropologie structurale. Paris: Plon.



























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