Livre: «Le fond de la jarre» de Abdellatif Laâbi
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Livre: «Le fond de la jarre» de Abdellatif Laâbi
Abdelaziz MouridePublié dans Le matin le 20 - 06 - 2002
«J'ai sept ans, peut-être huit. Fès. Dans le quartier appelé la Source des Chevaux, la maison où je suis né. Une «égyptienne». On désignait ainsi ces petites maisons qui flanquaient les vastes demeures des gens aisés. Elle avait une entrée indépendante et
Nous nous entassions à dix dans notre «égyptienne», et je crois pouvoir dire que nous étions heureux»
C'est de ce bonheur qu'il s'agit tout au long de ce roman autobiographique où Abdellatif Laâbi nous donne à découvrir, non sans surprise, une autre facette du poète de l'engagement et des chemins des ordalies. Celle de l'homme dans sa nudité fragile et hésitante, celle de l'enfant qu'il fut, «l'ancêtre» du l'homme qu'il est, nous dira Laâbi dans une parodie du célèbre proverbe «l'enfant est le père de l'homme».C'est à Fès que tout se passe, dans cette petite maison communèment appelée «égyptienne» où le petit Namous est né avant que la famille ne s'installe dans une maison plus confortable. Nous sommes à la fin des années quarante en pleine crise de décolonisation qui opposait les nationalistes à la puissance occupante. Mais pour le petit Namous - c'est le sobriquet affectueux que la famille donnait à son cadet, celui-là même qui nous prête, tout au long de ce roman, ses yeux et ses oreilles pour nous guider dans les dédales tortueuses de la vieille ville andalouse. اa tombe bien puisque Namous, petit enfant frêle et malicieux, une sorte de Hdidan des contes de grand-mère, étant lui même au stade de la découverte et de l'émerveillement, est assez curieux, et un tantinet téméraire, pour fouiller au fond de la jarre.
Le fond de la jarre? ne me dites que ça ne vous rappelle rien tout de même! Mais oui! la jarre de Djha remplie à moitié de miel et à moitié de matière fécale au fond . C'est bien cela.
Mais que vient faire une jarre serait-elle de Djha dans ce roman autobiographie où l'enfant Laâbi se met en scène? Tout le mystère est là. Serait-ce cette façon de parler tout en nuance, en allusion, qui dit à la fois tout et rien et dont se délectent les Fassis? Si c'est cela le lecteur sera bien servi tout au long de ce texte truffé d'expressions et d'idiomes du fin fond de la vieille ville de Moulay Idriss.
La championne incontestée de ce parler du cru est sans conteste, Lalla Ghita, la mère de Namous et épouse de Driss, le sellier qui tient boutique au souk Sekkatine. Une femme haute en couleurs qui tient la maison avec la poigne et l'autorité d'un vrai meneur: «Pourquoi, déclare-t-elle, met épaules devraient-elles supporter toujours le fardeau? ne suis-je pas moi aussi une musulmane? J'ai le droit, au moins une fois dans ma vie de me gratter tranquillement la tête et d'»écouter mes os».
Ou alors la jarre serait-elle cette boîte da pandore qu'était la ville de Fès sous le protectorat et qui l'est encore de nos jours, qui, une fois ouverte, donnerait lieu à des débordements aussi bien du merveilleux, du magique et du sublime qu'à de la laideur, de la misère et de l'oppression.
Là aussi l'auteur se fait un plaisir de nous promener à travers ses souvenirs d'enfant dans les plis de cet univers clos et mystérieux qu'étaient celui des artisans de Fès; la place du mausolée de Moulay Driss; les ruelles étroites, tortueuses et obscures où les enfants s'ingénient à en faire des espaces de jeux et de rêveries, parfois un champs de bataille entre quartiers. Et puis il y a des personnages d'un pittoresque chatoyant, des apprentis sorciers, des fous de dieu ou des fous tout court, des animateurs de halqa, marchands de rêves et de fictions, d'autres sont plus proches de Namouss, tel M. Cousin l'instituteur à l'a flûte enchantée; l'oncle Touissa , dont le sobriquet renvoie à son penchant pour les beuveries. Curieux personnage que ce Touissa, fugueur, célibataire endurcie, taciturme la plupart du temps, qui cependant, se rèvèle d'une compagnie des plus agréables pour ses talents de conteur. Pourtant l'oncle Touissa est sourd. «C'est mon Homère à moi» écrira Laâbi. Il y a surtout Fès. La ville telle qu'elle a été par la fibre poétique de l'auteur. S'il a autant de pommes que d'artistes qui en peint, il y a autant de Fès que de poètes qui l'ont chanté. Celui de Laâbi ne ressemble à aucune autre. A travers les périgrinations du petit Namouss, c'est un autre Fès que Laâbi nous donne à entendre et à voir celui qui le façonne lui, l'adulte Laâbi: «(...)Dans ce qui a été relaté, je me trouve face à des boîtes gigognes. Je scrute cette galerie de poupées alignées. De la plus petite à la plus grande, il ya comme une chaîne solidaire, une passation des pouvoirs vitaux, et chaque fois un regain d'âme. Et de me dire qu'aucune des poupées, n'aurait l'idée de passer sur le corps de l'autre et de revendiquer pour elle seule la maternité de toute la lignée. A la voix qui se donne des droits sur la mémoire et me harcèle en demandant: Qui est Namouss? j'essaie d'apporter une réponse sincère. Celle qui s'impose, heureusement inprévue, est la suivante: Namouss, c'est mon ancêtre et mon enfant.
Il ne me reste plus maintenant qu' à me replacer derrière la ligne de départ et boucler la boucle.»
On lira ce texte pour un double plaisir : celui des mots et de leur musique, celui de la découverte d'un homme qu'on croyait à tort connaître. </div>
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